AirBnB, Abritel et consorts gagnent un temps de répit
Une proposition de loi transpartisane était examinée mercredi 6 décembre à l’Assemblé nationale sur les locations de courte durée.
L’examen du texte a été interrompu avant même que l’article 2 n’ait pu être voté, à minuit. Le vote sur cette proposition de loi en première lecture, très attendu par de nombreux élus en France, est reporté sine die. Cette proposition de loi était portée par deux députés : Anaïg Le Meur, députée du Finistère (Renaissance) et par Inaki Echaniz, élu des Pyrennées-Atlantiques (PS). L’objectif était de permettre aux maires de toutes les communes de France de disposer d’une boîte à outils afin de réguler les meublés de tourisme et les locations de courte durée sur leurs territoires.
Une partie des députés LR et les députés du RN ont souhaité maintenir la « niche fiscale » dont bénéficient ces meubles de tourisme, car « sa suppression nuirait aux petits propriétaires ». Ils ont fait de l’obstruction parlementaire en multipliant les prises de parole, les manoeuvres, les demandes de suspension pour ralentir le vote. Pourtant, il y a une majorité de parlementaires pour soutenir ce texte qui pourrait revenir aux votes en janvier ou février 2024.
Il y a pourtant urgence
Pour une majorité de maires et de parlementaires en France, il y a urgence. L’enjeu dépasse largement l’économie liée au tourisme puisque les maires s’accordent à dire que la crise du logement et les graves déséquilibres qu’elle entraîne sur leur territoire serait en partie due à cette ubérisation de l’hébergement touristique et à la financiarisation du logement.
Cécile Duflot, la présidente de l’ONG Oxfam France° pointe elle aussi du doigt ce phénomène, dans le rapport sur le logement que l’association a rendu public le lundi 3 décembre. La veille dans le nouvel hebdomadaire dominical La Tribune du dimanche (créé par des journalistes transfuges du Journal du Dimanche), 37 maires de grosses et moyennes agglomérations, dont Jean-François Fountaine, maire de La Rochelle signaient une tribune commune pour demander à l’État une réglementation de régulation.
Pour le maire de La Rochelle : « on est à un moment de basculement, un moment charnière » a t’il exprimé avec satisfaction lors du colloque organisé le 4 décembre à l’espace Encan, en partenariat avec l’association France Urbaine°. Si les maires font front commun, ce n’est pas le cas des députés. Ce colloque réunissait élus et sénateurs parmi lesquels la maire d’Avignon et la sénatrice des Hautes Pyrénées et bien sûr des élus locaux, dont Lionel Quillet , le président de la Communauté de communes de l’île de Ré ou encore le sénateur de Charente-Maritime Michael Vallet.
Des fonds d’investissement qataris à Annecy
Pour tous, le constat est alarmant : la crise du logement de longue durée dans toutes les grandes agglomérations de France, ainsi que dans les villes moyennes et les territoires touristiques est directement lié à une ubérisation de l’économie et à une financiarisation du logement. Bref, au développement des plateformes comme AirBnB. Quand pour certains propriétaires, la location de courte durée de leur(s) bien(s) représente un complément de revenus, dans certaines communes ou villes de France, la spéculation financière l’a maintenant emportée de manière quasi irrémédiable.
Ainsi, à Annecy, des fonds d’investissement du Qatar ou d’Arabie Saoudite achètent des blocs d’immeubles et de maisons pour investissement. Dans la station de ski des Pyrénées de Cauteret, les résidences secondaires représentent 92% des logements. Difficile voir impossible de lutter dans ces conditions. Comment dès lors loger des familles monoparentales, des retraités avec des petites pensions, des saisonniers, des étudiants ?
À l’île de Ré comme à La Rochelle, la situation n’est pas à ce point critique, même si des propriétaires de meublés de tourisme rochelais ont été identifiés à Moscou et certains propriétaires de biens rétais seraient domiciliés à Singapour.
Les maires dénoncent des pratiques qui entraînent des déséquilibres patents dans la vie quotidienne des habitants de ces agglomérations : conflits d’usage entre des gens qui vivent et travaillent et d’autres en vacances qui veulent se divertir, changements d’usage des commerces avec plus de restaurants et de bars et moins de commerces de service et de bouche, fermetures de services publics et à plus long terme une population qui fuit vers les périphéries, faute de toit.
L’article 3 de la proposition de loi sur la « niche fiscale »
Pour Lionel Quillet, « le premier étage de la fusée qui permettra de réguler la location de courte durée, ce sera un changement de fiscalité pour les propriétaires ». Et c’est justement cette niche fiscale évoquée dans l’article 3 de la proposition de loi qui a été défendue par les députés de droite et d’extrême droite. L’article 3 prévoit d’abaisser à 30% le taux d’abattement sur les revenus des meublés de tourisme, contre 71% pour la location meublée classée et 50% pour la location meublée non classée aujourd’hui.
Pour l’instant, Bercy n’est pas non plus très favorable à cette modification de « niche fiscale ». La perspective de l’énorme besoin de logements à Paris cet été à l’occasion des JO serait la cause de cet attentisme. Il se louerait des chambres à 300 euros la nuit dans la capitale française pendant la durée des Olympiades…
L’été 2024 s’annonce d’ailleurs de très bonne augure pour l’économie touristique sur tout le littoral français puisque Paris et sa périphérie vont se vider de ses habitants… Les Parisiens vont se réfugier, entre autres en Charente-Maritime. La situation pourrait encore se tendre. Nos confrères du Phare de Ré ont révélé dans leur dernière édition qu’aux Portes-en-Ré, des maisons aux volets fermés en hiver avaient été tagués de slogans hostiles.
Les autres outils prévus par la proposition de loi
Parmi les outils envisagés par les députés, outre supprimer la niche fiscale, il y aussi d’autres propositions : soumettre les meublés de tourisme aux même obligations de diagnostic de performance énergétique que les logements de longue durée.
Généraliser le numéro d’enregistrement des biens auprès des mairies, y compris les SCI (Société Civile Immobilière) et le changement d’usage est généralisé à toutes les communes et pas seulement aux communes en zone tendue.
Consolidation des mesures de quota, de servitude et de compensation. Ainsi une commune avec plus de 20% de résidences secondaires peut mettre en place des zones à usage exclusif de résidences principales.
Enfin, la durée maximale de location d’une résidence principale passerait de 120 jours aujourd’hui à 90.
New-York a pris de l’avance sur l’Europe
Depuis le 5 septembre, la ville de New York aux Etats-Unis, parmi les plus visitée au monde après Paris, a considérablement durci les conditions de location de courte durée pour les propriétaires. La mairie s’est aussi attaquée de manière drastique aux plateformes d’annonces. À Manhattan, les propriétaires comme les plate-formes s’exposent maintenant à de lourdes amendes.
Virginie Valadas
°France urbaine est l’association de référence des métropoles, communautés urbaines, communautés d’agglomération et grandes villes. C’est une association de collectivités qui incarne la diversité urbaine et promeut l’alliance des territoires.
°Oxfam : Depuis 1988, l’association Oxfam France (anciennement Agir ici) mobilise le pouvoir citoyen pour lutter contre les inégalités et abolir la pauvreté.
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