Agriculture
C’est un pavé dans la mare
et même plus précisément un pavé dans ma mare de « la ferme du Défend », cet espace naturel sensible situé à la sortie de Rivedoux-Plage, en lisière des premières parcelles de vignes plantées sur la commune de Sainte-Marie-de-Ré. Ce pavé dans la mare, quel est-il ? Il s’agit d’une carte de France dite Adonis, rendue publique le 22 juin par l’organisme Solagro, qui permet d’évaluer et de visualiser l’exposition aux pesticides dans chaque commune française. D’après cette carte Adonis, non seulement toute l’île de Ré est classée en orange et rouge, sauf Loix en jaune très clair et Les Portes-en-Ré classée en vert, mais les communes de Rivedoux-Plage et de Sainte-Marie-de-Ré sont-elles classées en rouge foncé (entre 10 et 18,6 d’IFT°) soit l’indice de fréquence de traitement en produits phytosanitaires. Cette carte interactive a été largement diffusée notamment par les médias en général et depuis lors, tout aussi commentée sur les réseaux sociaux. Car avec la méthodologie utilisée par Solagro, il semblerait que certains résultats soient loin d’être conformes à la réalité.
Qu’est-ce que Solagro ? C’est une entreprise associative d’ingénierie, un groupement d’experts et de conseils en transition environnementale. La structure existe depuis quarante ans et est active dans plusieurs domaines d’application : l’agroécologie, la méthanisation, les stratégies territoriales, les gaz renouvelables, la forêt, le bois, l’énergie. Le siège de Solagro est à Toulouse. Nous n’avons pas pu les joindre vendredi soir, week-end oblige. Nous nous sommes contentés de lire la publication sur leur site ou en toute transparence, ils expliquent la méthodologie utilisée pour réaliser cette carte : Il y est mentionné que « Cette carte croise :
- les données parcellaires du Registre Parcellaire Graphique (RPG) 2020 qui donne accès à toutes cultures
- les enquêtes Pratiques Culturales concernant les grandes cultures, l’arboriculture, la viticulture et le maraîchage qui donne un IFT moyen décomposé (insecticides, fongicides, herbicides et traitements de semences) par ancienne région administrative
- les parcelles en bio fournies par l’Agence bio
Solagro commente également : « l’indice de fréquence de traitement phytosanitaire (IFT) communal est une estimation du niveau d’utilisation des pesticides pour chaque commune française sur la base de l’assolement de la commune, du type de pratique (conventionnelle ou bio) et des IFT régionaux de référence issus de données statistiques ou locales. «
Pour rigoureuse et documentée qu’elle paraisse, la méthodologie de Solagro dresse une liste de points de vigilance :
- – L’IFT moyen communal est calculé sur la base de références à l’échelle des anciennes Régions administratives et des bassins viticoles. La valeur obtenue représente une estimation du nombre de point d’IFT moyen relatif à l’assolement de la commune. Si des pratiques à faible utilisation de produits phytosanitaires sont mises en œuvre sur une commune hors labellisation en agriculture biologique, la valeur estimée par cette méthode peut être supérieure à la réalité.
- – L’indice se rapporte aux seules surfaces agricoles de la commune, quelle que soit la part de la surface agricole du territoire communal.
- – La surface agricole utile de la commune prend en compte la totalité des surfaces graphiques inscrites au RPG 2020 (ajustées pour la vigne) dont les estives et parcours collectifs. Soit une SAU totale de 28 millions d’hectare.
- – La surface bio issue du RPG BIO est de 2,34 millions d’hectare sur les 2,55 millions d’hectare7 soit 92% des surfaces. On estime donc qu’il manque environ 8% des surfaces conduites en agriculture bio.
En d’autres termes, la prise en compte de l’assolement sur le parcellaire agricole référencé pose question : comment se fait-il que la commune de Rivedoux-Plage se retrouve catégorisée en rouge foncé, alors qu’elle n’accueille ni production viticole ni production en pomme de terre AOP ? Comment Sainte-Marie-de-Ré se retrouve elle aussi en rouge foncé alors que c’est la commune qui accueille le plus de viticulteurs en bio de la coopérative Uniré ? A contrario, Saint-Clément-des-Baleines est en orange et pourtant, les agriculteurs coopérateurs qui y sont installés sont tous en production conventionnelle.
Infos pratiques
La coopérative Uniré est située au Bois-Plage
- Elle regroupe plus d’une centaine de producteurs : des viticulteurs qui produisent du raison pour des vins rouges, rosés et blancs, mais aussi pour du vin champagnisé le Trousse-Chemise, des eaux de vie de Cognac (avec la maison Camus) et des pineaux.
- Elle regroupe également des maraîchers, producteurs de la pomme de terre primeur en AOP. Quelques agriculteurs produisent vignes et pommes de terre et même sel l’été dans les marais salants.
Tel : 05 46 09 23 09
La coopérative Uniré se sent visée
et conteste ces résultats. Vendredi 24 juin au matin, à la coopérative Uniré du Bois-Plage, en pleine campagne de commercialisation de la pomme de terre primeur AOP, la publication de la carte dans les médias était largement commentée et surtout incomprise. Nous avons joint Jean-Jacques Enet, le président de la coopérative du Bois-Plage pour qui « ces résultats ne reflètent pas du tout le travail des producteurs de la coopérative ni les démarches entamées depuis au moins dix ans pour réduire l’utilisation d’intrants ». Il rappelle que la structure rétaise applique les programmes « écophyto » du gouvernement et a déjà supprimé depuis plusieurs années l’utilisation des produits les plus dangereux, ceux catalogués CMR° : produit cancérogène (susceptible de provoquer le cancer), mutagène (susceptible de provoquer une mutation génétique héréditaire), et/ou reprotoxique (susceptible d’entraîner des problèmes de fertilité ou des effets sur la santé de l’enfant à naître). « A échéance de 2023, dans le cadre du programme écophyto, nous aurons réduit de 50% l’utilisation de produits phytosanitaires » ajoute ce dernier. Incrédule, il évoque des agriculteurs qui travaillent avec cœur et avec le souci permanent de la santé de l’utilisateur, du consommateur et bien sûr de leur propre santé et déplore un acharnement envers les agriculteurs de l’île de Ré qui « sont plutôt des bons, voir des très bons élèves, notamment dans la production viticole destinée à fabriquer les eaux de vie de cognac. » Et de conclure, « l’interprétation de ces chiffres n’est pas la bonne. ».
Jérôme Poulard, le responsable technique de la coopérative Uniré lui emboîte le pas : « ces chiffres sont déconnectés de notre réalité alors que nous avons d’’autres chiffres précis et annuels d’IFT par producteurs qui ne correspondent pas du tout. Pour la pomme de terre AOP, comme nous sommes sur une primeur, la période de production et de récolte est très courte, donc on craint beaucoup moins le mildiou que les pommes de terre de conservation. La pomme de terre primeur, c’est maximum deux ou trois traitements annuels et pour la vigne, si nous traitons contre le mildiou et surtout contre l’oïdium, c’est maximum avec dix traitements en fonction des parcelles et toujours avec des produits dits biocontrole° » (des agents et des produits utilisant des mécanismes naturels dans le cadre de la lutte intégrée contre les ennemis des cultures, ces produits phytosanitaires dits biocontroles sont autorisés en agriculture biologique). Et de citer la onzième campagne de traitement de la vigne en mars dernier par la méthode de la confusion sexuelle (une méthode de lutte biotechnique collective, respectueuse de l’environnement contre les tordeuses de la grappe). Ultime argument avancé : des exploitations rétaises sont maintenant catégorisées en haute qualité environnementale (HVE) et de ce fait sont auditées et contrôlées. Elles sont au nombre de huit aujourd’hui, représentant plus d’un tiers des exploitations pour la vigne et trois quarts pour la production de pomme de terre primeur AOP.
La seule explication plausible pour le technicien de la coop Uniré, c’est que la méthodologie de Solagro ne peut pas s’appliquer aux petites parcelles agricoles telles qu’elles existent à l’île de Ré et que les chiffres d’assolement pris en compte ne sont pas conformes à la réalité du terrain. Quant aux commentaires qui n’ont pas manqué de se multiplier sur les réseaux sociaux, c’est pour lui, ni plus ni moins que de « l’agribashing ».
L’agriculture a l’île de Ré se distingue par deux grandes monocultures, aujourd’hui encore dominantes même si une diversification tente à apparaître : la vigne et la pomme de terre primeur AOP qui réunit la majorité des producteurs au sein de la Coopérative Uniré au Bois-Plage. Parmi ces coopérateurs, une petite dizaine de producteurs a souhaité produire des vins en bio (un vin rouge, un vin blanc et un vin rosé).
Deux autres vignerons indépendants se sont installés, tous les deux sont certifiés bio : les vins, eaux de vie et pineaux du domaine Pelletier d’une part et les vins du domaine Arica d’autre part. Car depuis dix ans, le paysage agricole rétais change : des nouveaux vignerons indépendants mais aussi des nouveaux maraîchers se sont installés du nord au sud de l’île de Ré, en bio ou en agriculture intégrée ou raisonnée.
La salicuture continue elle à progresser et à attirer de nouveaux producteurs dans les marais salants du nord de l’île.
A noter que certains élus municipaux sont parvenus à faire signer des chartes agro-environnementales à des producteurs, c’est notamment le cas à La Flotte grâce à l’action de Patrick Salez. Cette charte agro-environnementale locale s’applique aux producteurs de pommes de terre AOP qui exploitent des parcelles sur cette commune.
Virginie Valadas
www.solagro.org
1 L’indice de fréquence de traitement ou IFT est annuel
2 Les produits phytosanitaires qualifiés de CMR (cancerogène, mutagène et reprotoxique) sont listés, tout comme les produits de traitement dits biocontrole. Ces listes sont publiques.
3 Les plans écophyto visent à réduire l’utilisation des produits phytosanitaires (communément appelés pesticides) en France tout en maintenant une agriculture économiquement performante. En France, est appliqué actuellement le plan ecophyto2